L’Etat, la vengeance et le droit

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  • Created on: 30-04-17 22:27

L’Etat, la vengeance et le droit

La vengeance est une forme de justice réparatrice qui laisse une grande place aux sentiments et à l’action des victimes. De ce point de vue elle s’inscrit bien dans une relation dyadique entre l’offenseur et une victime. Il s’agit d’un procédé au cœur du mécanisme pénal, c'est-à-dire tout ce qui relève de l’atteinte aux personnes et aux biens sans pour autant qu’il y ait de peine étatique. Il s’agit d’un véritable mode de régulation social sur lequel les sociétés occidentales ont un certain nombre de préjugé. Parmi eux :

 -La vengeance est forcément archaïque et considérée comme le moment le plus primitif de l’évolution du droit pénal  comme elle est inconciliable avec l’étatisation de la justice pénale. L’Etat pacificateur assure le triomphe de la civilisation sur la barbarie grâce à l’abnégation de la vengeance au profit d’un système de répression publique fondée sur des peines légales. La vengeance ne peut qu’exister en dehors du droit, en marge de l’Etat. -La vengeance est forcément démesurée malgré ses finalités réparatrices et donc le principe de la stricte réciprocité ne serait jamais atteint -La vengeance est forcément interminable, c'est-à-dire inscrite dans un enchainement sans fin des violences où la contre offense de la victime devenue elle-même vengeresse va déclencher de nouveaux actes de vengeances. La vengeance ne serait pas un règlement de conflit où dans ce sens elle le relance. Finalement vengeance serait pratiquée essentiellement dans ses sociétés acéphales au sein desquelles règne l’anarchie et un climat de violences endémiques. Mais en réalité, la vengeance procède de la mise en œuvre de mécanismes élaborée, et on parle dans ce cas de système vendicatoire. De plus il n’y a pas forcément incompatibilité entre vengeance et répression publique fondée sur des peines publiques.

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Système vendicatoire

Il y a un encadrement de la vengeance, dont les actes obéissent à des normes. C’est une vengeance contrôlée mettant un terme aux conflits. La vengeance illimitée et démesurée existe malgré tout mais c’est une hypothèse assez rare de manière générale.

Dans les Abkhaze (Caucase) un adage dit que « le sang ne vieillit pas ». Cela veut dire que la vengeance se transmet de génération en génération d’où des conflits interminables. Le processus peut partir d’atteintes mineures conduisant à des ripostes démesurées et delà un enchainement de représailles. Ce système rare s’explique par le fait que dans ces communautés la notion de rachat de la vengeance est tout à fait exclue étant donné que cela est considéré comme une lâcheté. « Nous ne faisons pas commerce du sang de nos frère », l’offense n’est pas rachetable au point même que parfois les descendant en ont oublié le déclencheur.

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Vengeance de sang

Réparation violente valorisée par certaines sociétés car considérée comme la voie la plus honorable et comme la voie servant au mieux la finalité compensatrice. Certes la violence s’exerce mais elle est codifiée, encadrée et parfois même ritualisée. Il existe des règles relatives aux cas déclencheurs, aux acteurs, au temps et au lieu ainsi qu’aux modalités.

a)    Actes déclencheurs

Toutes les formes d’agressions ne conditionnent pas la mise en œuvre de la vengeance. Au regard de ce qui se pratique dans les sociétés mettant en œuvre ce mécanisme, il faut un acte grave portant atteinte à l’intégrité physique ou à l’honneur de la personne. Ouvre droit à la vengeance de sang l’homicide, le viol, le vol. Pour les autres types d’actes, on pratique au contraire le prix du sang, c'est-à-dire le rachat de la violence. 

b)   Acteurs

La vengeance n’est pas le fait d’un individu isolé ou de ces héritiers. La vengeance est souvent confiée au groupe vu qu’on estime que l’agression à entamé le capital vie du groupe et que celui-ci doit donc être restauré par le groupe. De façon réciproque, la vengeance vise le groupe de l’auteur dans son entier. Mais tout le groupe ne prend pas part à la vengeance et c’est pourquoi des règles précises indiquent ceux pouvant participer à l’acte de vengeance (ex : vengeance des seigneurs par les guerres féodales).

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Vengeance de sang

c)    Temps et l’espace

L’idée est simple, lorsque la vengeance est circonscrite dans le temps et dans l’espace, elle est moins facile à exercer, ce qui ouvre les perspectives de pacification.

Par exemple, la communauté au Tchad des Moundang lors des meurtres le clan de la victime ne dispose que de deux jours pour tuer le meurtrier ou éventuellement l’un de ses frères. Une fois ce délai expiré, on va recourir à la divination pour désigner celui qui devra expier le crime dans le clan du meurtrier. Après deux nouvelles journées si la vengeance ne s’est toujours pas exercée, on rentre dans un temps de la réconciliation par la recomposition (compensation par équivalent, c'est-à-dire prix du sang).

De même à l’époque féodale pendant les guerres entre les seigneurs correspondant à des vengeances privées. La vengeance entre les seigneurs a été limitée dans le temps et dans l’espace par l’Eglise à travers les institutions de la trêve de Dieu et de la paix de Dieu. La paix de Dieu est la limitation de la vengeance dans l’espace en protégeant certains lieux (lieux de cultes et sauvetés délimitées par des croix), certaines personnes clercs, marchands, pèlerins, paysans, femmes, enfants, croisés) et certains biens (matériel agricole, biens de l’Eglise). La trêve de Dieu limite la vengeance dans le temps en autorisant les actes uniquement à certaines périodes. Si ces règles de la guerre et de la vengeance ne sont pas respectées, on encoure des sanctions spirituelles (ex : excommunication) et cela à un véritable impacte sur les populations comme on est dans une société très chrétienne.

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Vengeance de sang

d)   Nature et l’étendue

La règle est simple, il s’agit d’une réglementation qui s’inspire de la loi du Talion : principe de stricte réciprocité. Cela implique une idée d’équivalence stricte au niveau des actes mais aussi dans certaines société une idée de parité sociale, c'est-à-dire que la cible de la vengeance et la victime doivent être de même rand et de même sexe.

Lorsque la vengeance ne peut pas s’exercer sur l’auteur, certaines règles prévoient qu’on puisse s’en prendre à ses proches, mais alors l’acte de vengeance sera modulé en fonction du degré de parenté.

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Le prix du sang

C’est une négociation entre les groupes qui se substitue à la violence, c’est une autre forme de réparation. La compensation par équivalent en est une voie pacificatrice et indemnitaire. Cet équivalent peut être négocié par les parties dans sa nature et son quantum ou alors imposé par une norme telle la coutume.

Au Soudan chez les Nuer, le prix du sang (compensation pour meurtre) tourne autour d’une vingtaine de détail en vertu de la coutume. Ici il n’y a pas vraiment de négociation possible.

De même en Gaulle Franque avec la loi salique qui fixait précisément le montant du wergeld. Le montant peut varier en fonction de la qualité de victime et des modalités de l’offense. Par exemple, tout homme libre vivant sous la loi salique coute 8000 deniers ou encore une main coupée qui pend encore coute 2500 deniers.

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Le prix du sang

Cette règle de la nature et du quantum varie d’une société à l’autre. Par contre, la règle immuable est celle de l’équivalence ou plus exactement la perception le groupe a de cette équivalence : que vaut la vie ? Dans certaine société elle peut valoir de l’argent, dans d’autres des biens divers … Il existe également des formes de compensations différentes qui tentent à restaurer la vie perdue contre une vie trouvée, ce qui donne lieu à des hypothèses assez surprenantes comme l’abandon noxal qui consiste à livrer le meurtrier à la famille de la victime dans laquelle il va intégrer un statut visant à remplacer le mort (ex : chez les ossètes dans le Caucase le meurtrier devient le fils, chez les tchouktches il devient le mari et le père). La compensation, toujours dans cette même idée, peut résider dans le fait que le groupe offenseur va offrir une femme qui va devoir s’accoupler avec un membre du groupe offensé et lui donner un enfant qui sera élevé et entretenu par le groupe offenseur pour qu’une fois en âge de prendre les armes il soit rendu au groupe offensé à titre de compensation de la vie perdue.

Le système vindicatoire repose sur un encadrement et une régulation de la vengeance, ce qui a permis de remettre en question certains préjugés occidentaux. L’Etat avec l’existence d’un système répressif public n’est pas compatible avec la vengeance et en particulier avec cette idée de mobilisation des victimes dans la mobilisation de l’offense. 

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L’Etat, la vengeance et la peine

Thèse évolutionniste

Cette thèse postule que la naissance et la croissance de l’Etat anéanti forcément le système vindicatoire au profit d’un système répressif étatique fondé sur des peines publiques (dette payée à la société et non pas à la victime ou à son groupe). Cela veut dire que la gestion de l’offense ici échappe à la victime et au groupe au profit de l’Etat qui à le monopole des sanctions. C’est l’Etat qui va poursuivre et qui va punir l’auteur d’une infraction en vertu du droit. Mais ce faisant, il exclut la victime du processus sanctionnateur.

L’Histoire des sociétés modernes semble accréditer cette thèse puisque dans les états modernes centralisé et unifiés la vengeance est officiellement interdite et punissable, d’où l’adage « nul ne peut se faire justice à soi même ».

Justement il est possible de nuancer ce postulat en raison d’une résurgence d’une dimension vindicative par le biais d’une participation plus forte des victimes dans le processus punitif.

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L'Etat, la vengeance et la peine

Contre argumentation anthropologique

Certaines formes d’Etat et donc de justice publique ont pu coexister avec un système vindicatoire. Par exemple, les Moundang vivant sur la base d’une monarchie n’a pas abolit la justice clanique qui est une expression du système vindicatoire.

Dans l’antiquité, et plus précisément dans la Romme républicaine (-509 à -27), le processus étatique est perfectionné. Dans ce régime, on va distinguer les délits publics des délits privés. Les délits publics sont des actes qui lèsent la collectivité toute entière et qui sont de nature politique ou religieuse : ils vont donc faire l’objet d’une répression publique c'est-à-dire mis en œuvre par la justice pénale publique. Les délits privés relèvent n’affectent que les intérêts privés, ce qui est le cas de l’homicide, du viole, du vol ou l’adultère qui peuvent être vengés par les victimes qui vont prendre en charge elles même la sanction. La justice publique d’un Etat évolué coexiste donc parfaitement avec un système de vengeance.

De même dans la Gaulle Franque avec le Mallus et le Mallum. La voie judiciaire est à cette période un ultime recours puisque l’on va faire appel à la justice d’Etat si on renonce à la vengeance et en cas d’échec de la conciliation.

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L'Etat, la vengeance et la peine

Résurgences vindicatoire dans le système répressif étatique des sociétés modernes

 Il s’agit de savoir si l’Etat dans sa forme moderne a anéanti toute forme de vengeance. Une analyse plus fine du système permet de nuancer cette incompatibilité en repérant dans la sphère pénale des signes de la vengeance privée. La vengeance laisse place aux sentiments à l’action des victimes, c'est-à-dire que c’est un système qui mobilise les victimes. On pourrait alors dire que la dimension vindicatoire de la justice pénale publique est activée chaque fois que la victime est associée dans le système à la répression pour obtenir satisfaction.

a)    Constitution de partie civile

Institution qui rentre parfaitement dans le cadre de mobilisation des victimes dans la mesure où c’est une procédure qui offre à la victime un véritable pouvoir sur la conduite du procès pénalLorsque l’Etat, par le biais du ministère public ou du parquet refuse de poursuivre l’auteur d’une infraction. Dans ce cas la constitution de partie civile va contraindre l’Etat à agir et à poursuivre ce qui va obliger à reprendre l’enquête. D’une autre part, lorsque l’Etat poursuit l’auteur, la constitution d’une partie civile va permettre à la victime de se joindre à la société pour faire entendre sa voix.

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L'Etat, la vengeance et la peine

C’est finalement le moyen pour la victime de ne pas rester passive voire même exclue du procès pénal. Il s’agit vraiment d’un mécanisme vindicatoire comme cela va permettre à la victime d’obtenir une réparation particulière : intérêts civil, dommages et intérêts. Grâce à cela l’auteur de l’infraction va devoir payer sa dette à l’Etat en subissant une dette publique, mais il va aussi payer sa dette à la victime en la dédommageant du préjudice subit.

b)   Procès pénal et ritualisation de la violence

Malgré les apparences pacifiques, il y a dans le procès pénal une ritualisation de la violence qui s’exerce sur le prévenu et qui vise la satisfaction de la société mais aussi de la victime. Tout ceci transparait dans le rituel judiciaire par la solennité, le formalisme à respecter. On peut parler d’une véritable mise en scène, dramaturgie judicaire.

Sans être exhaustif, on peut citer la présence d’un public aux audiences pénales (sauf huis clos à la demande des parties). Ce public est séparé du tribunal de la cour par une barrière et n’a pas le droit de se manifester. Ce public continue d’incarner la vindicte populaire ou en tout cas la société qui attend qu’on lui rende justice, ainsi qu’une forme de soutien aux victimes. Il y a ensuite le rappel des faits de l’affaire par un magistrat. Le récit est très codifié et fait transparaître l’intérêt des victimes comme il ne doit rien omettre des traumatismes vécus par la société. Ce récit à une double finalité en ce qu’il s’agit également de rappeler à la société les valeurs qui ont été bafouées.

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L'Etat, la vengeance et la peine

Après il y a la posture de l’accusé, isolé (parfois dans un box) et parfois surélevé afin de l’exposer au regard de tous et surtout au public. De ce fait il est aussi séparé de ses soutiens tels que sa famille ou ses amis. Le placement des acteurs du procès participe à l’abaissement de l’homme jugé et au réconfort des victimes.

Enfin, les magistrats du siège, du parquet et les avocats portent la robe. Ce qui signifie qu’à partir de ce moment ces personnes ne sont plus des hommes et des femmes ordinaires mais investis d’une mission. La robe est héritée de l’ancienne France comme le rouge symbolise la couleur royal et donc l’appartenance des magistrats à la justice royale. Aujourd’hui cela ne représente plus la justice déléguée du roi mais reste un vêtement de pouvoir qui marque la supériorité de l’institution par rapport à ceux qu’elle juge.

En dehors du procès, on remarque depuis quelques décennies que les victimes font parties d’une prise en charge accrue pour la reconnaissance de leur condition de victime, ce qui n’a pas toujours été le cas. Le fond d’indemnisation, le service d’aide, les associations de victimes et autres font parti des institutions révélant l’intérêt porté aux victimes et donc on s’aperçoit qu’il y a véritablement une mobilisation des victimes avant, pendant et après le procès, qui fait appel à leurs sentiments et donc révèle d’une manière très indirect la dimension privée réparatrice de la justice. Quant aux victimes qui se font justice elles même, leurs actes de vengeance sont assez souvent jugés avec indulgence, ais évidemment punis.

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L'Etat, la vengeance et la peine

Le système vindicatoire est caractéristique des sociétés traditionnelles mais n’est pas non plus incompatible avec l’Etat et des formes plus ou moins abouties de justice publique. On peut également dire que cette coexistence dépend de l’emprise étatique sur la sphère des relations privées. Cela veut dire que lorsque l’Etat se charge d’une partie de la répression seulement, il laisse à la victime le soin de se venger. La voie judiciaire peut aussi apparaitre comme l’ultime recours, c'est-à-dire qu’elle est sollicité si la vengeance à échoué. Enfin, quand l’Etat prend en charge toute la délinquance, la vengeance est officiellement exclue mais va néanmoins subsister sous une forme différente et très indirecte. 

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